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de cassation de Belgique, 1re chambre, 10 décembre 1942. P1·ésident: M. SoENENS, conseiller faisant fonctions de président. Rapporteur : M. VITRY. Conclusions conformes : M. RAOUL HAYOIT DE TERMICOURT, Avocat général. Plaidant : M. MARCQ. SUCCESSION.- PÉTITION D'HÉRÉDITÉ.- ABSENCE.- DÉVO,- LUTION D'UNE. SUCCESSION CONFORMÉMENT A L'ARTICLE 136 DU ÜODE CIVIL. - ACTES DE . DISPOSITION FAITS PENDANT L'ABSENCE PAR LES HÉRITIERS APPELÉS A PLACE DE L'AB- SENT. - VALIDITÉ. - DROITS DE L'ABSENT A SON RETOUR . JJI1\IITÉS A CEUX INDIQUÉS DANS L'ARTICLE 132 DU CODE CIVJL. L'article 136 du Code ·civil, en disposant que la succession ouverte pendant l'absence sera dévolue à ceux qui recueillie avec l'absent ou à son a donné titre à ces derniers pour 'recueillir l'hérédité :oet lie1·, par les actes relatifs à celle-ci, tO'ltt ayant droit éventuel. La loi, dans son texte, n'affecte pas cette dévolution à'une condition 1·ésol1ûoire opé1·ant rétroactivement. De même cas prévu par l'article 132 du Code civil, 1·elat,if ctux effets de l'envoi en possession définitive des biens appar- ü;nant à l'absent avant sa disparition, l'absent s'il reparaît, mt si son existence est établie, peut réclamer les biens dans l'état 'i.ls se trouvent, le 1Jrix de ceux qui auraient été aliénés ou les biens 1Jrovenant de l'emploi qui aurait été fait du pr·ix, (SMAL, O. RAMET.) A.RRÊT. Vu l'arrêt attaqué rendu le 23 décembre 1938 par la Cour d'appel de Liège; Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles· 132. 135, 136! 137, 138, 790, 815, 826 et 827 du Code

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  • Co~u· de cassation de Belgique, 1re chambre, 10 décembre 1942.

    P1·ésident: M. SoENENS, conseiller faisant fonctions de président.

    Rapporteur : M. VITRY.

    Conclusions conformes : M. RAOUL HAYOIT DE TERMICOURT,

    Avocat général.

    Plaidant : M. MARCQ.

    SUCCESSION.- PÉTITION D'HÉRÉDITÉ.- ABSENCE.- DÉVO,-LUTION D'UNE. SUCCESSION CONFORMÉMENT A L'ARTICLE 136 DU ÜODE CIVIL. - ACTES DE . DISPOSITION FAITS PENDANT

    L'ABSENCE PAR LES HÉRITIERS APPELÉS A ~A PLACE DE L'AB-SENT. - VALIDITÉ. - DROITS DE L'ABSENT A SON RETOUR

    . JJI1\IITÉS A CEUX INDIQUÉS DANS L'ARTICLE 132 DU CODE CIVJL.

    L'article 136 du Code ·civil, en disposant que la succession ouverte pendant l'absence sera dévolue à ceux qui l'a~t1'aient recueillie avec l'absent ou à son défa~tt, a donné titre à ces derniers pour 'recueillir l'hérédité :oet lie1·, par les actes relatifs à celle-ci, tO'ltt ayant droit éventuel.

    La loi, dans son texte, n'affecte pas cette dévolution à'une condition 1·ésol1ûoire opé1·ant rétroactivement.

    De même qu'a~t cas prévu par l'article 132 du Code civil, 1·elat,if ctux effets de l'envoi en possession définitive des biens appar-ü;nant à l'absent avant sa disparition, l'absent s'il reparaît, mt si son existence est établie, peut réclamer les biens dans l'état où 'i.ls se trouvent, le 1Jrix de ceux qui auraient été aliénés ou les biens 1Jrovenant de l'emploi qui aurait été fait du pr·ix,

    (SMAL, O. RAMET.)

    A.RRÊT.

    Vu l'arrêt attaqué rendu le 23 décembre 1938 par la Cour d'appel de Liège;

    Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles· 132. 135, 136! 137, 138, 790, 815, 826 et 827 du Code

  • 12 REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE . •

    civil; fausse application et partant violation des articles 1168s 1179, 1183, 1599 du même Code, 109 de la loi hypothécaire du 16 décembre 1851 ;

    En ce que l'arrêt attaqué, ayant à se prononcer sur l'opposa-bilité, à l'égard d'une personne dont l'existence n'est pas recon-nue, des actes accomplis, durant son absence, par ceux qui, conformément à l'article 136 précité du Code civil, ont été appelés à recueillir une succession .lui échue, a décidé, à tort, qu'une fois accueillie l'action en pétition d'hérédité ouverte à l'absent par application de l'article 1,37, les appelés en question , étaient censés n'avoir jamais été propriétaires des biens compris dansla succession le retour de l'absent agissant rétroactivement sur les droits conférés aux appelés,· à l'instar d'une cpndition résolutoire, et a, en conséquence, prononcé l'annulation des actes accomplis par les dits appelés relative~nent aux biens en question, alors que, 1 o à la différence des héritiers dits ), c'est en vertu même de la loi, qui a pris soin d'en exclure expres-sément l'absent, que les héritiers appelés en vertu de l'article 136 se sont gérés en maîtres de l'hérédité, lents droits sur celle-ci, actuels et certains, n'étant, par ailleurs, affectés d'aucune moda-litéparticulière; que, 2°, investis par la loi du mandat de veiller, tant dans lel!.r propre intérêt que dans celui de l'absent, à l'admi-nistration de la dite succession, les appelés en question puisent nécessairement dans leur qualité de gérants de celle-ci pour le c-ompte éventuel de l'absent, le pouvoir de représenter valable-ment ce dernier vis-à-vis des tiers, et que, partant, il y a lieu d'admettre que l'absent, à son retour, étant tenu de respecter les actes accomplis en son absence par ses cohéritiers ou ayants cau~e, doit éventuellement, comme dans .l'hypothèse visée à l'article 132, se contenter de réclamer à ceux. qui ont pris sa place dans la liquidation, le prix des biens qui auraient été vendus, ou les biens provenant de l'en1ploi qui aurait été fait de ce prix;

    Qu'il en est en tout cas ainsi, lorsqu'il s'agit, comme en l'espèce. d'actes nécessaires, tels une licitation et un partage, à l'accom-plissement desquels l'absent lui-1nên1e n'aurait pas eu la possi-bilité de se soustraire :

    Attendu qu'aux termes de l'article 136 du Code civil, « s'iL s'ouvre une succession à laquelle soit appelé un individu dont

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    l'existence n'est pas reconnue, elle sera dévolue exclusivement à ceux avec lesquels il aurait eu le droit de concourir, ou à ceux qui l'auraient recueillie à son défaut>>; que, suivant l'article 137, « les dispositions des deux articles précédents auront lieu sans préjudice des actions en pétition d'héréd~té et d'autres droits, lesquels compéteront à l'absent ou à ses représentants ou ayants cause>>;

    Attendu que l'arrêt attaqué, tout en constatant que l'existence d'Emile-Alzire-Marie Ramet n'était pas reconnue à l'époque où s'ouvrit la succession de son père, et tout en admettant que celle-ci fut, par conséquent, légalement dévolue à sa sœur et à ses enfants, décide que la liquidation qui eut lieu entre eux est nulle et non avenue, annule les adjudications faites à leur profit_, et d~t qu'il sera procédé à une nouvelle liquidation de ]a succession dont s'agit; qu'il fonde, en droit, sa décision sur ce que, « les parents appelés par l'article 136 du Code civil ne .. sont propriétaires des biens de la succession leur dévolue, que sous condition résolutoire; qu'ils n'ont pu transmettre à des tiers que des droits également résolubles >>;

    Attendu qu'en disposant que la succession ouverte sera dévolue à ceux qui l'auraient recueillie avec l'absent ou à son défaut, l'article 136 a donné titre à ces derniers pour recueillir l'hérédité, et lier, par leurs actes relatifs à celle-ci, tout ayant droit éventuel ;

    Attendu que la loi, dans son texte, n'affecte pas cette dévolu-- tion . d'une condition résolutoire opérant rétroactivement ;

    Que, tout de même qu'au cas prévu par l'article 132, relatif aux effets de l'envoi en possession définitive des biens appar-tenant à l'absent avant sa disparition, l'absent, s'il reparaît, ou si son existence est prouvée, peut réclamer les biens dans l'état où ils se trouvent, le prix de ceux qui auraient été aliénés, ou les biens provenant de l'emploi qui aurait été fait du prix des biens vendus;

    ~ttendu qu'en décider comme le fait l'arrêt attaqué, revient à fa:usser le système de la loi, celle-ci n'ayant pu vouloir que l'absent, lorsqu'il reparaît, pût, à l'égard de biens qui, jusque-là) ne lui étaient pas dévolus, user de droits plus étendus qu'à l'égard de ceux dont il était déjà nanti au jour de sa disparition;

    1\ttendu, au surplus, que, s'agissant de droits éventuels d'un individu tenu · par la loi pour non existant, aussi longtemps

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    qu'il ne se r-eprésente pas, le législateur a .dû faire prévaloir sur ces droits l'intérêt et la sécurité du commerce juridique; que la foi publique postule pareille solution;

    Attendu qu'il résulte de ces considérations qu'en statuant comme il l'a fait, l'arrêt attaqué a violé les dispositions légales invoquées au moyen ;

    ·Par ces motifs, la Cour, et sans s'arrêter au second moyen, casse la décision entreprise ; ordonne que le présent arrêt sera transcrit dans les registres de la Cour d'appel de Liège et que mention en sera faite en marge de l'arrêt annulé; condamne Julien Ramet, les époux Mouton et LaureJadot, veuve Ramet, aux dépens; renvoie ]a cause à la Cour d'appel de Bntxelles.

    Arrêt de la Cour d'appel de Liège, 38 chambre,_ du 23 décembre 1938 (extraits) (1).

    Attendu qu'il apparaît des considérations qui précèdent que Julien et Ghislaine Ramet ont ignoré l'existence de leur père et ont appréhendé la succession dans la conviction qu'elle leur était dévolue suivant le prescrit de l'article 136 du Code civil, qu'ainsi ils doivent être considérés, jusqu'au moment de la découverte de leur erreur, comme des possesseurs de bonne foi, encore que les formalités de 1â' procédure de présomption d'absence n'aient pas été régulièrement accomplies;

    Attendu que c'est à bon.droit que l'intimé Emile-Alzire Ramet, deman-deur originaire, dont la qualité d'héritier n'a jamais été contestée, soutient en conclusions que les parents appelés par l'article 136 du Code civil ne sont propriétaires ·des biens de la succession leur dévolue que sotis condition résolutoire, qu'ils n'ont pu transmettre à des tiers que des droits résolubles ;

    Attendu que l'article 137 du Code civil réserve en effet au profit de l'absent, non seulement l'action en pétition d'hérédité, mais encore la réclamation de ses autres droits, ce qui comprend nécessairement son recours contre les aliénations consenties par ceux qui ont détenu ses biens en vertu de l'article 136 du Code civil;

    Attendu que la réapparition d'Emile-Alzire Ramet doit nécessairement entraîner l'annulation de la liquidation à laquelle ses enfants ont- participé et la résolution des droits immobiliers par etl.x consentis aux personnes présentes au présent litige, qu'ainsi doit être annulée l'adjudication de la maison Julien Ramet intimé;

    Attendu que Havelange acquéreur du jardin et les tiers au profit desquels les immeubles ayant fait partie de la succession auraient étO

    (1) Voir le texte complet de cet arrêt dans la Revue pratique du notaTiat flelgc 1939, p. 231.

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    grevés ne sont pas à la cause, qu'aucun contrat judiciaire n'est noué avec eux, qu'ainsi la Cour ne peut connaître des demandes d'annulation dirigées contre eux;

    Attendu qu'aussi bien l'intimé Emile-Alzire Ramet, en ses conclusionc:; additionnelles, demande que les opérations faites· avec les seules parties qu'il a mises à la cause, sa sœur et ses enfants soient déclarées nulles et non avenues, que dans cette mesure il y a lieu de faire droit 'à l'appel incident formé par lui ;

    Attendu qu'en conclusions additionnelles les époux Smal-Ramet appelants concluent à la non-recevabilité de la demande formée par Emile-Alzire Ramet par appel incident tendant à l'annulation de la liqui-dation de la succession de feu Alphonse Ramet, parce que Havelange acquéreur du jardin n'est pas à la cause;

    Attendu que l'intimé Emile-Alzire Ramet est libre d'exercer à son choix w1.e action personnelle en restitution du prix de vente du jardin contre ceux qui sont en sa possession ou par une action réelle en revendication contre Havelange propriétaire actuel du jardin, qu'ainsi la non-présence de ce dernier à la cause ne peut avoir pour conséquence la non-recevabilité de la présente action en annulation de la liquidation ;

    Attendu que les époux Smal-Ramet appelants demandent en conclusions additionnelles subsidiaires que l'intimé Emile-Alzire Ramet soit déclaré responsable, aux termes des articles 1382 et 1383 du Code civil, de tout le préjvdice pouvant résulter pour eux de l'admission de la demande formée par son appel incident ;

    Attendu qu'Emile-Azire Ramet a commis une faute en restant pendant de nombreuses années sans donner la moindre nouvelle à ses enfants

    -et à ses parents, contre lesquels -Ïl n'articule cependant aucun grief et en laissant planer l'inçertitude sur son existence, que si l'annulation de la liquidation doit causer préjudice à l'épouse Smal-Ramet, cette dernière est en droit d'en obtenir réparation d'Emile-Alzire Ramet,. ce préjudice étant la conséquence de la faute qu'il a commise;

    Attendu qu'il n'est pas établi que les intimés Julien Ramet et les époux Mouton-Smal se seraient refusés à remettre à leur père la part successorale leurrevenant, que jamais sa qualité d'héritier n'a été cont~stée, que la demande formée contre eux par Emile-Alzire Ramet en payement d'une somme de 5.000 francs à titre de dommages-intérêts n'est pas justifiée;

    Attendu qu'il y a lieu de faire droit aux conclusions des époux Smal-Ramet, tendant à voir déclarer le présent arrêt commun au notaire Touron, qu'il y a lieu de donner acte à ce dernier de ses réserves quant à la recevabilité et au fondement de l'action en responsabilité qui pourrait lui être intentée;

    Par ces motifs, la Cour, éca:rtant toutes conclusions autres plus amples ou contraires, reçoit les appels tant principal qu'incident, joint les causes inscrites au rôle général sous les numéros 5785 et 612, ce fait réformant la décision entreprise dit que la liquidation de la succession de feu Alphonse Ramet par acte de Me Touron, notaire à Huy, en date du 16 octobre 1930, est nulle et non avenue, annule l'adjudication en date du 20 août 1930,

  • 16 REVUE ORITIQU:& DE JURISPRUDENOE BELGE.

    d'une maison de commerce à Mme Smal-Ramet et d'une maison à Julien Ramet, dit qu'il sera procédé à une nouvelle liquidation de la succession dont s'agit suivant les règles légales et par les notaires nommés par les parties, à défaut par les parties de faire choix d'un notaire~ désigne Me A. Grégoire, notaire à Huy, pour procéder à la liquidation; renvoie pour le surplus la cause et les parties devant le tribunal de Huy autrement composé ; dit que Emile-Alzire Ramet devra tenir indemnes les époux Smal-Ramet de tout le préjudice subi par eux en principal, intérêts et frais ensuite de l'annulation de la liquidation; dit que le présent arrêt sera commun au notaire Touron, donne acte à ce dernier de ses réserves quant à la recevabilité et au fondement de l'action en responsabilité qui pourrait lui être intentée; depens a charge de la liquidation.

    ,Note.

    L Le long· procès, auquel notre Cour de cassation a mis fin, mettait en cause, par delà l'in,térêt pécuniaire des parties, un intérêt bien supérieur, celui de la foi publique indispensable en la sécurité de n,otre régime foncier quant aux transmissions immobilières par décès. AljSsi le Comité d'études de la « Fédération des notaires de Belgique » a pris l'affaire très à cœur et a fait faire, à ses frais et sous ses auspices, le pourvoi en cassation contre l'arrêt de la Cour d'appel de Liège du 23 décembre 1938, qui avait annulé, à la demande de l'absent, les actes de licitation publique et de liquidation-partage passés par ses enfants appelés à sa place par l'article 136 du Code civil, pour le motif que ces enfants n'avaient recueilli les droits héréditaires que sous la condition résolutoi?·e du retour de l'absent.

    En cassant cet arrêt, qui ne tendait à rien de moins qu'à enlever toute portée juridique à l'article 136 du Code civil, comme s'il n'existait pas, et à méconnaître, pour une durée de trente ans, les droits les plus certains, que le Code reconnaît aux cohéritiers d'exiger immédiatement leur part de succession, et aux créanciers du défunt d'interrompre la prescription et de faire vendre par justice les biens compris dans leur gage, et de plus, contrairement à l'ordre public et à l'intérêt général, à placer en même temps hors du commerce les immeubles successoràux - absurdîtés que lelégislateur n'a pu vouloir- notre Cour suprême a dissipé tout un chaos juridique et par un arrêt de principe a rendu à notre droit civii belge le plus éminent service.

    Pour· en apprécier l'importance, il suffit d'exposer sommairement les faits de la cause. et l'état de la doctrine belge au moment où le procès s'est ouvert.

    La succession qui a donné lieu au litige s'est ouverte le 4 juillet 1930, par le décès de J .-A. Ramet, veuf ile dame Marie Dehaye. De son mariage le défunt avait retenu deux enfants, qui, s'ils étaient en vie, devaient recueillir la succession: une fille, Mme Julie Ramet, épouse Smal, et un fils, Alzire Ramet. Celui-ci avait disparu en 1914, abandonnant sa femme et ses deux enfants mineurs, et depuis n'avait plus donné de ses nouvelles.

  • REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE. 17

    Ouverte après la disparition de l'absent, la succession tombait sous l'appli-cation des articles 135 et suivants du Code civil : Alzire Ramet n'a donc pas été saisi ni appelé à succéder à son père à raison de son absence . La succession se trouvait ainsi dévolue pour moitié à Mme Smal, d'après le droit commun, et, pour l'autre moitié, qui serait revenue à l'absent s'il s'était présenté, d'après l'article 136, « exclusivement » à ses deux enfants, chacun pour un quart, mais à charge pour ceux-ci de subir « l'action en pétition d'hérédité JJ, que l'article 137 réserve à l'absent et ses ayants cause, pour le cas où la preuve viendrait à être fournie qu'il était vivant au moment de l'ouverture de la succession.

    A la requête des héritiers, seuls appelés par la loi, il avait été procédé à la vente publique sur licitation des immeubles successoraux et, ensuite, au partage amiable de toute la succession,- par acte du notaire Touron à Huy, en date du 16 octobre 1930.- Il a été touché ainsi par les deux petits-enfants ensemble 60.500 francs, montant du droit qui serait revenu à leur père, Alzire Ramet, s'il s'était présenté aux opérations.

    Après plus de vingt années d'absence, pour la première fois, Alzire Ramet, a manifesté son existence, le 14 novembre 1935, par un exploit d'huissier, par lequel il assignait devant le tribunal de Huy à la fois sa sœur et ses deux enfants, aux fi.ns, non de contraindre ces deux derniers à lui restituer la part qu'ils avaient recueillie en ses lieu et place soit la somme de 60.500 francs, mais d'entendre prononcer l'annulation de la vente publique et de l'acte de -liquidation-partage.

    Si pareille demande avait été introduite en France, elle aurait été tranchée tout de suite en vertu du principe, consacré par la jurisprudence constante de la Cour de cassation de ce pays, de la validité à l'égard des tiers de bonne foi des actes accomplis par l'héritier apparent ( 1 ), et le demandeur n'aurait pu obtenir de ses enfants que le droit de réclamer la somme touchée e11r ses lieu et place. Mais, en Belgique, la capacité putative de 1 'héritier apparent avait été rejetée par notre Cour de cassation et par la doctrine unanime des auteurs.

    D'autre part, nos auteurs, par un étrange aveuglement, assimilaient aux héritiers apparents sans titres aucuns, les héritiers appelés, à l'exclu-sion de l'absent, par l'article -136 du Code civil, qui étaient ainsi non des héritiers apparents, mais- du moins à l'égard des tiers- les seuls héritiers véritables jusqu'au retour de l'absent. Pour justifier cette .assimilation, ils enseignaient, comme un dogme indiscutable, que la vocation héréditaire établie par l'article 136, ne conférait à ces héritiers la succession que sous condition résolutoire du retour de l'absent, et partant, appliquant à la matière la fiction de la rétroactivité des condi-tions, ils ont enseigné que la vocation héréditaire de l'article 136, dès le retour de l'absent, doit être réputée n'avoir jamais existé. Unanimes, pour s'incliner devant ce dogme fallacieux, ils étaient d'accord cependant pour admettre deux exceptions : le tiers qui avait acquis de bonne foi

    (1) Voy. PLANIOL, t. III, ge éd. n° 2060; PLANIOL et RIPERT, t. IV, n° 345; >CoLIN et CAPITANT, t. III, n° 681; JossERAND, t .III, n° 1025.

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    des meubles corporels, ou qui avait payé de bonne foi des dettes succes-sorales se trouvait à l'abri de toute réclamation de l'absent par appli-cation des articles 2279 et 1240 qui consacrent la capacité putative du simple possesseur.

    Quant aux actes émanés de l'héritier apparent, trois théories étaient en présence :

    a) Laurent enseigne, avec sa logique habituelle, que, par suite de la résolution rétroactive de leur vocation légale, ces héritiers, . n'ont jamais été propriétaires, que, partant, toutes les conventions intervenues avec des tiers, ne lient pas l'absent et ne lui sont pas opposables,· et. que sont nuls non seulement les actes de disposition mais aussi les actes d'administration, tels que les baux ( 1 ).

    b) Les autres auteurs ont reculé devant cette théorie trop absolue à leurs yeux. Ils admettent la nullité des actes de disposition, non celle des actes d'administration, parce que la simple « possession » permet de les accomplir, postulat admis sans la moindre justification par un texte de loi (2). '

    c) De nombreux auteurs allaient plus loin et admettaient la validité parfaite à l'égard -de l'absent des actes de disposition nécessai'res, c'est-à-dire ceux que l'absent aurait dû consentir ~'il avait été présent, et que seules les aliénations volontai'res étaient nulles ( :3).

    En jetant un coup d'œil·tétrospectif sur la doctrine de l'époque, on est saisi d'étonnement que tant d'éminents juristes aient rejeté comme inadmissibles les conséquences d'un principe qu'ils admettaient, sans que nul n'ait pensé à mettre ce principe en doute ! La surprise devient encore plus grande lorsqu'on consulte la jurisprudence : jamais1 en Belgique~ un tribunal ne s'était prononcé sur la portée réelle de l'article 136 du Code civil!

    En présence de la carence complète de toute jurisprudence, le tribunal de Huy, ayant à se prononcer sur ce problème tout nouveau, s'est trouvé très désemparé, et il a rendu, le 12 juin 1937, un jugement, qui est non une décision de justice tranchant le problème, mais une transaction imposée d'office aux parties pour terminer l'affaire en donnant à chacune une éertaine satisfaction: d'une part, tout en s'inclinant devant le principe~ enseigné par tous les auteurs, que la dévolution de l'article 136 est affectée de la condition résolutoire du retour de l'absent, le tribunal ne prononça pas la nullité de la vente publique, à raison du manque d'intérêt et de la faute de l'absent qui n'avait qu'à imputer à sa négligence la situation où il se trouvait; d'autre part, tout en reconnaissant que la sœur de l'absent, cohéritière avec lui, n'était pas tenue d'attendre sa réapparition

    (1) LAURENT, t. IX, n° 558, et t. XXV, n° 57. (2) Tels, TIDRY, t. rer, n° 210, et t. II, n° 115; VAN BIERVLIET, Successions.

    n° 253; GALOPIN, S~wcessions, n° 115; SCHICKS et VANISTERBEEK, t. Il, p. 71, et t. III, p. 132, etc.

    (3) SÉRÉSIA, Pétition d'hérédité, nos 216 à 221; .l\.RNTZ, t. II, n° 1671; un motif de l'arrêt de notre Cour de cassation du 7 janvier 1847, Pas., 1847, l, 313;. BELTJENS, art. 136, n° 8; Pand. belges, v 0 Héritier apparent, nos 111 et 120.

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    pour demander sa part et que la liquidation-partage est un acte nécessaire, le tribunal ne l'annula pas, mais, à raison de l'insolvabilité des enfants qui avaient touché la part de l'absent, modifia l'acte intervenu en obligeant la sœur de l'absent de donner à celui-ci la moitié de la somme dont elle avait été créditée dans le partage, soit 33;025 fr. 25, le tout jugé ex aequo et bono (1).

    Cette transaction, imposée par le t.ribunal, assurait bien à Mme Smal-Ramet la propriété définitive de la maison qu'elle avait acquise dans la vente publique et présentait l'avantage de terminer tout le litige, mais c'eût été au prix pour elle de supporter la moitié de la perte que son frère avait encourue par sa faute, alors qu'elle-même n'avait pas la moindre faute à se reprocher. Elle refusa d'acquiescer .au jugement et se pourvut en appel.

    En notre qualité de professeur à l'Université de Gand du cours de pratique notariale, nous avons pris un vif intérêt à la vieille question de la portée juridique de l'article 136 du Code civil, qui, après avoir sommeillé pendant un gros demi-siècle, venait de rebondir dans l'actualité par un procès retentissant que la Cour d'appel de Liège était appelée à résoudre. Dès que le jugement de Huy est venu à notre connaissance, nous avons publié une longue étude, en prenant le contre-pied de ce que tous nos éminents prédécesseurs avaient enseigné, nous avons soutenu la thèse que certes le retour de l'absent avait pour effet de révoquer la vocation héréditaire des héritiers appelés à la place de l'absent, mais qu'à l'égard des tiers cette révocation ne peut avoir d'effet rétroactif; qu'elle opère ex nunc et non ex tune, comme le Code civil en donne l'exemple dans ses articles 132 et_ 958, et que par- conséquent l'absent, ayant été représenté dans les actes passés durant son absence par des mandataires légaux, c'est par erreur que la doctrine lui a reconnu la qualité de « tiers » (2). Cette thèse était toute nouvelle, mais elle trouva immédiatement l'adhésion complète dans une étude très serrée et solide-ment motivée publiée par EMILE GENIN, l'auteur du grand Tmité des hypothèques et de la-transcr-iption (3). Un vaste espoir était né, dans le monde notarial belge, de voir consacrer par la jurisprudence une iÙterprétation du fameux article 136 dans le sens quele législateur avait voulu y donner, et qu'il avait d'ailleurs exprimé dans le texte même d'une manière catégorique en écartant de la succession l'absent pendant toute la durée de sa disparition : la succession, dit le Code, « est dévolue exclusivement à ceux avec lesquels il aurait le droit de concourir ou à ceux qui l'auraient recueillie à son défaut », expression qui ne comporte pas la modalité de « condition résolutoire >> que l'on a voulu sous-entendre sans motif.

    L'arrêt rendu par la Cour de Liège le 28 décembre 1938 a été une déception générale ( 4).

    (1) Voy. Rev. prat. not., 1937, 423, le texte du jugement et la note critique de .JEAN BAUGNIET.

    (2) Rev. prat. not., 1937, p. 721 à 734. (3) Rec. gén. de l'enregistrement, 1938, n° 17859. (4) Voy. Rev. prat. not., 1939, 231, le texte de l'arrêt et nos observations.

  • 20 REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE.

    La Cour réforma le jugement de Huy, mais -,chose qui paraissait ne pas être possible, - consacrant la théorie de Laurent, déclara nuls et non avenus la vente publique et l'acte de liquidation-partage faits à la requête des enfants de l'absent, régulièrement investis comme héri-tiers par l'article 136 pour prendre sa place, actes auxquels l'absent n'aurait pu se soustraire s'il avait été présent et qui, de ce chef, de l'avis autorisé de nombreux auteurs, auraient dù être validés, ce sans autre motif que:« C'est à bon droit que l'absent soutient que les parents appelés par l'article 136 du Code civil ne sont propriétaires que sous condition résolutoire et qu'ils n'ont pu transmettre aux tiers que droits résolubles».

    Si notre Cour suprême n'avait pas cassé cet arrêt, les conséquences en auraient été bien, fâcheuses pour tous ceux ayant tm intérêt dans toute succession où un absent a droit à faire valoir l'action en pétition d'hérédité, et le nombre de ces successions est considérable surtout à notre époque : leurs droits auraient été paralysés pendant trente ans! Or, la liquidation d'une succession est toujours chose urgente, car il y a lieu de régler sans retard les frais de dernière màladie, les frais funéraires et les droits de succession, ce qui généralement ne peut être fait que par la vente de biens héréditaires. Les autres créanciers sont impatients de toucher le montant de leurs créances. Les héritiers, de même, demandent souvent, comme la loi leur en, donne le droit, la sortie immédiate de l'indivision.

    Le notaire, sollicité de procéder à la vente des immeubles et à la liquidation des prix, aurait dû leur répondre : « Impossible pour vous de faire valoir le droit tel que la loi vous le donne, car il faudrait le concours à l'acte de M. X ... , qui a disparu. Il vous faudra attendre la -réapparition de l'absent et prendre beaucoup de patience. Actuellement, les actes de vente et de liquidation que vous passeriez ne valent que sous la condi-tion résolutoire du retour de l'absent, qui alors sont non avenus et tombent à néant. En, ce moment, vous ne possédez que des droits aléatoires dont vous pouvez disposer comme tels ; mais, chargé par ma mission de notaire d'éclairer les acquéreurs sur les conséquences des actes que je passe, je suis obligé de leur dire que la vente n'a pour objet que la propriété sous condition résolutoire de retour. de l'absent, et je vous préviens, de votre côté, qu'il n'y a que très peu d'amateurs pour des droits aléatoires et que vous n'en obtiendriez qu'tm prix tout à fait dérisoire ».

    Par bonheur, le sombre cauchemar pour les notaires de devoir tenir à leurs clients d'aussi désolants propos, n'a pas duré longtemps. Le bien est sorti de l'excès même du mal. Le malheureux arrêt de la Cour de Liège leur a donné l'occasion d'obtenir de notre Cour de cassation, un arrêt qui leur donne une directive sùre et qui interprète l'article 136 du Code civil dans le sens que le législateur a incontestablement voulu en l'édictant, à savoir que l'absent est lié par les actes passés par les parents appelés à sa place.

    La thèse de la dévolution « sous condition résolutoire·», qui avait été enseignée par tous les auteurs belges jusqu'en 1937 et qui venait d'être consacrée par la jurisprudence, est définitivement condamnée par notre Cour suprême.

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    Par le fait disparaissent aussi toutes les absurdités qui en étaient la conséquence : le cohéritier de l'absent pourra désormais exercer le droit que l'article 815 du Code civil lui donne de sortir d'indivision et d'obtenir sa part incommutable ; les créanciers du défunt pourront agir en justice et obtenir des jugements pour faire valoir leurs droits et interrompre des prescriptions, sans que l'absent à son retour pÙisse y échapper en invoquant la relativité de ceux-ci et sa qualité de >. De plus, ayant pour gage tout le patrimoine du déflmt, ils pourront poursuivre l'expro-priation forcée des immeubles héréditaires, sans que l'absent à son retour, prétendant ·avoir été un « tiers >> dans la saisie, puisse revendiquer les immeubles vendus conformément à l'article 54 de la loi du 15 aoùt 1854. Enfin, contrairement à l'ordre public et à l'intérêt général, les immeubles successoraux ne seront plus hors du commerce pendant trente ans par le simple fait de la disparition d'un héritier au moment de l'ouverture de la succession, puisque l'article 136 a appelé à sa place, pour la durée de l'absence, des héritiers dont les actes l'obligeront.

    Ajoutons à l'honneur de la doctrine -belge, que, dès avant l'arrêt que nous publions, elle a entièrement évolué dans les nouveaux commentaires de notre droit civil qui ont paru et qui enseignent que le retour de l'absent met simplement «un terme » à la vocation héréditaire de l'article 136 ( 1 ).

    II. La sphère d'application, dans laquelle le nouvel arrêt doit produire ses bienfaisants effets, est limitée par les termes mêmes de l'article 136 du Code civil. A cet effet, il faut d'abord que la succession soit ouverte après la disparition de l'absent. Si elle était ouverte avant cette date, l'absent l'aurait recueillie et devra être représenté dans les actes ainsi qu'il est prescrit par les articles 113 et suivants, relatifs à l'absence. Il faut de plus que les héritiers et légataires, visés par l'article 136, aient qualité pour recueillir la succession dans le cas où l'absent serait décédé.

    Quand ces deux conditions sont réunies, les héritiers appelés par l'article 136 se trouvent dans la même situation que celle définie par l'article 132 du Code civil pour les héritiers ayant obtenu l'envoi définitif en possession des biens de l'absent. Ni l'un ni l'autre article n'exclut définitivement l'absent, qui à son retour pourra réclamer« son patrimoine>> des envoyés en possession définitive, non quant aux objets qui le compo-saient, mais dans son ensemble tel qu'il a été transformé par la gestion intérimaire ; et qui obtient, de même, par l'article 137, «l'action en pétition d'hérédité >> de la succession dont il a été exclu à raison de son absence, et qui a été gérée et administrée par -neux appelés par la loi pour le. représenter.

    Pour des raisons majeures d'utilité pratique, les héritiers a,ppelés par l'article 136, ont reçu la mission de gérer en propriétaires, pendant la durée de l'absence, les biens héréditaires à eux dévolus, soit pour leur· compte personnel si l'absent ne revien~ pas, soit pour le compte de l'absent s'il revient, ce qui est alors un mandat légal. Cette double mission n'a

    (1) Voy. HENRI DE PAGE, Tmiié de d1;oit civil belge, t. Jcr, 2e édition, P• 533" et suiv., et ALBERT KLUYSKENS, Pm·sonen en familie1'echt, nos 187 à 190.

  • 22 REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE.

    rien de contradictoire, car elle est alternative et subordonnée à l'arrivée d'une condition différente.

    L'absent, qui revient, doit évidemment respecter les actes d'admi-nistration et d'aliénation à titre onéreux; accomplis par ses mandataires légaux;.

    rroutefois, nous pensons devoir nous rallier à la doctrine des auteurs français qui admettent trois restrictions au principe de la validité, à l'égard de l'absent, des actes passés pendant son absence, comme inconci-liables avec le mandat légal d'administrer pour compte d'autrui ( 1 ).

    L'absent ne sera pas tenu de respecter :

    l o Les actes de donation, parce que le mandat de gérer pour compte d'autrui, quelque étendu qu'il soit, est exclusif de celui de faire des libéralités (2).

    2° Les actes de cession, même à titre onéreux, de droits successifs, ce qui implique la cession du mandat de gérer, lequel est incessible (3).

    3° Enfin tous les actes, même à titre onéreux, lorsque l'acquéreur savait que l'absent était vivant, car le mandat donné aux héritiers provisoires n'a été établi qu'en faveur des gens de bonne foi (4).

    III. Ainsi que le pourvoi en cassation avait bien limité le litige, l'arrêt du lü décembre 1942 n'a tranché que la seule question posée, celle de savoir si le retour de l'absent avait pour effet de résoudre rétroactivement ·la vocation héréditaire contenue dans l'article 136 du Code civil, ce qui aurait pour conséquence d'annuler tous les actes de gestion accomplis durant l'absence, ou bien au contraire si ce retour avait pour effet de mettre «un terme ll à cette vocation héréditaire, ce qui a pour conséquence de laisser subsister la validité de ces actes accomplis à l'époque o-h ils étaient les seuls héritiers véritables ?

    Notre Cour suprême, s'étant prononcée dans ce dernier sens, s'est rapprochée en fait, dans les cas les plus nombreux, de la jurisprudence admise par la Cour de cassation de France, mais s'est abstenue d'en consacrer le principe. L'ancienne jurisprudence de notre Cour suprême qui remonte aux deux arrêts des 7 janvier 1847 et 5 juillet 1878. (5), proclamant la nullité dès actes accomplis par « l'héritier apparent ll, simple possesseur sans titre, n'a pas été entamée et elle subsiste encore:

    Cependant, si on veut reprendre l'étude approfondie de la fameuse controverse, on trouvera en faveur de la théorie française, dans le récent arrêt de notre cour, 1.m argument d'analogie qui nous paraît déterminant: entre l'héritier appelé provisoirement à la succession par l'article 136 et le simple héritier apparent il y a ceci de commun que l'un et l'autre sont soumis à l'action en pétition d'hérédité et cette action implique un 'ln'JJJUlett légal obligeant le possesseur de la succession à la gérer et

    {1). :o~ms le même sens, voy. KLUYSKENS, t. VII, p. 185, n° 188. (2) Voy. PLANIOL, t. III, n° 2057. ContJ·a: AUBRY et RAU, t. VI, § 616, note 19. {3) Voy. PLANIOL, t. III, n° 2056. ,(4) Voy. PLANIOL, t. III, n° 2056; J"OSSERAND, t. III, n° 1023, 3°. 1(5) Pa.s., 184:7, I, 294, et 1878, I. 304.

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    à rendre compte de sa gestion, de sorte que l'article 136 du Code civil n'est qu'une application spéciaie d'un principe plus général inclus impli-citement dans l'article 137, qui a repris,_sans la définir ni en préciser les effets, la notion de l'action en pétition d'hérédité telle qu'elle était admise dans l'ancien droit.

    La pétition d'hérédité n'existait pas encore dans l'ancien droit romain, qui ne connaissait que l'action en revendication des choses dépendant in specie de la succession. Elle n'a été créée qu'au ne siècle de notre ère, par le senatus-consulte de l'empereur Adrien, qui, en remplacement des actions particulières en revendication, a institué l'action en pétition d'hérédité ayant pour objet la restitution de la succession envisagée dans son: ensemble, comme une « universalité juridique ». Vus sous cet angle, les biens délaissés perdent leur individualité propre et ne sont plus que des choses fongibles qui se remplacent les tmes par les autres conformément à la règle in judiciis unive1·salibus, res succedit loco pretii et pretium loco rei. Dans cette conception nouvelle, la succession qui doit être restituée est le patrimoine héréditaire tel qu'il est transformé par la gestion de l'héritier apparent et elle est constituée, indépendamment des biens qui existent encore en nature, des prix des ventes encore dus et de tous les bénéfi.ces réalisés à l'occasion de la gestion de l'hérédité.

    Par ce changement de législation, le possesseur de la succession n'est plus seulement obligé de délaisser la chose détenue par lui, il est devenu débiteur personnel et est tenu de rendre compte de sa gestion, même des choses qu'il ne possède plus. Inversement, l'absent devra, à celui qui a géré, récompense pour tous les débours faits par lui ( 1 ).

    On voit par là la grande différence qui ·existe entre la simple action

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    Malheureusement dans l'application de cette loi romaine, qui nous régit toujours, il a été perdu de vue que, tant par la volonté de l'empereur Adrien que par la nature même de l'institution, l'action en pétition d'hérédité a enlevé à l'héritier réel toutes les actions en revendication pour chacun des objets, ayant composé l'hérédité. Il est impossible de concevoir que la loi ait pu donner à l'absent le droit de réclamer de l'héritier apparent le prix de vente de l'immeuble vendu et, en même temps, de revendiquer cet immeuble entre les mains de l'acquéreur. Estimant qu'il était tout de même excessif de laisser à l'absent le droit d'exiger, à la fois, le prix et la chose, l'arrêt précité de la Cour dê Liège avait décidé que l'absent avait seulement le droit de choisir entre l'action «personnelle » en restitution du prix de vente de ceux qui l'ont touché et l'action

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    apparents » dans leurs rapports avec l'héritier réel, - il eût été exact que les actes et jugements ne lui étaient pas opposables en vertu du principe res inter alios acta vel fudicata aliis NEC NO CET NEC PRODEST. Or, par une méconnaissance certaine de ce principe à double tranchant, la même doctrine, en pleine contradiction avec elle-même, accordiüt à l'absent, le droit d'invoquer .à son profit tous les actes et jugements, relatifs à la succession, intervenus pendant son absence comme s'il y avait été partie, et, de plus, le droit de réclamer personnellement aux gérants tous les bénéfices retirés par eux de leur gestion, même ·les sommes proven~nt de l'aliénation de biens qui ont péri, et encore les profits venant de la seule vigilance du possesseur et que l'absent n'eût pas faite (1).

    Dans cette doctrine on trouve, dans une incohérence totale, la vérité juridique mêlée à l'erreur. Il est certain que le senatus consulte d'Adrien a subrogé l'héritier réel dans tous les droits et actions que l'héritier apparent a acquis relativement aux biens héréditaires et, de plus, a obligé ce dernier à restituer tous les profits obtenus dans sa gestion. Il en résulte simplement la preuve qu'il existe ici un mandat de gestion par l'héritier réel à l'héritier apparent, créé en dehors des volontés des parties~ par la volonté souveraine du législateur. Il va de soi que puisque l'héritier jouit des avantages de ce mandat, il doit en subir les inconvénients; tous les actes et jugements intervenus durant l'absence lui profitent ou lui nuisent, car il n'y a pas été «un tiers» mais «partie», y ayant été légalement représenté, ce qui satisfait à la fois l'équité et la logique et, de plus, se trouve confirmé par le fait que l'action en pétition d'hérédité, à lui laissée par la loi, n'a pas pour objet les choses héréditaires in specie, n1.ais la succession, «universalité juridique» telle qu'elle a été transformée par la gestion de l'héritier apparent.

    La loi romaine, toujours en vigueur, a très judicieusement et équitable-ment nuancé la responsabilité à résulter de la prise de possession d'une succession sans titre, suivant qu'elle a été fa1te de bonne ou de mauvaise foi. En toute hypothèse, cette prise de possession a pour conséquence l'obligation de gérer la succession pour compte de l'héritier véritable; mais, dans le compte à rendre, lé possesseur, s'il a été de bonne foi, n'est tenu des profi.ts faits que jusqu'à concurrence de son enrjchissement in quantum locupletior factus est, règle que l'article 1380 du Code civil applique pour le cas de vente en dessous de la valeur. Mais si le possesseur a été de mauvaise foi, il a abusé du pouvoir que la loi lui a donné, et il est obligé par elle de restituer l'intégralité des profi.ts et en outre de payer tous dommages~intérêts. Il répond même, dit l'article 1379 du Code civil, de la perte par cas fortui.t. Enfi.n si l'acquéreur a été de mauvaise foi, il ne peut, par application de la règle Fraus omnia corrompit, se prévaloir de la vente, car il savait qu'il n'achetait pas du vrai propriétaire. Celui-ci aura le choix de ratifier la vente ou de la faire annuler et de réclamer en outre des dommages-intérêts, conformément aux articles 1938 et 1383.

    (1) Voy. LAUR-ENT, t. IX, nos 534 et 526 avec référence à PoTHIER, De la ~H'OJn-iété, nils 418 et 417, et au droit romain. Loi 20 D, de he1·ed. petit., V, 3.

  • 26 R:EVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE.

    Notre Code civil étant "lill tout coordonné, dont les divers articles ne peuvent être interprétés séparément mais doivent l'être les 1.ms par les autres en donnant à chacun la portée quj résulte de l'ensemble du Code, il y a lieu de rapprocher de l'article 137, - qui maintient en vigueur l'action en pétition d'hérédité telle qu'elle était sous l'ancien droit, -avec les articles 811 et suivants sur « les successions vacantes ». Cette matière connexe~ si on l'examine soigneusement, fait apparaître en plus complète lumière l'existence du mandat légal qui régit les rapports de l'héritier réel avec l'héritier apparent, et les motifs sociaux qui le rendent nécessaire. !

    Lorsqu'une personne vient à mourir, shn « patrimoine >> lui survit, activement et passivement, avec toutes l~s relations juridiques créées entre le défunt et les tiers. Théoriquement, ce décès ne soulève pas de difficultés, puisque de plein droit, dans notre législation, les héritiers ou légataires 1.miversels remplacent le défunt dans ses droits et obligations, tels qu'ils existaient de son vivant ou sont engendrés par sa mort. Mais pratiquement cette solution légale échappe chaque fois que les successeurs 1.miversels sont inconnus ou absents. A qui les créanciers et les légataires du défunt doivent-ils s'adresser pour faire valoir leurs droits? C'est là le problème que le Code a tranché dans les articles 811 et suivants, en désignant quelqu'tm ayant le mandat légal de représenter

  • REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE. 27

    Cet arrêt solennel, rendu en matière fiscale, n'est basé sur aucim texte précis des lois d'impôts, mais sur des déductions techniques tirées de l'économie générale de notre législation (Code civil, Code de procédure et ]ois fiscales), a donc pleine valeur en droit civil. Ici, comme il arrive souvent, l'étude du droit fiscal a permis d'éclaircir un des problèmes les plus subtils du droit civil. Puisqu'il est souverainement établi par cet arrêt que la propriété des biens successoraux ne peut demeurer en suspens, l'hérédité, universalité active et passive, ne peut se concevoir sans titulaire pour la représenter, à l'égard des tiers, titulaire nommé dil'ectement par la loi ou à nommer suivant le mode indiqué par elle.

    Aussi nous pouvons déduire du récent arrêt que nous publions ici, qui, s'il n'infirme pas la jurisprudence antérieure établie par les deux arrêts des 7 janvier 1847 et 5 juillet 1878 (1), ne contient pas davantage la moindre indication tendant à la consacrer de nouveau, - que, dans un avenir très prochain, cette vieille jurisprudence sera entièrement abandonnée et fera place à une jurisprudence plus large et plus juridique, consacrant le principe que l'absent est lié non seulement par les actes de gestion accomplis par les héritiers provisoires nommés par l'article 136 du Code civil, mais aussi par ceux accomplis par l'héritier simplement apparent. L'action en pétition d'hérédité à laquelle celui-ci comme ce11:x-ljt sont soumis, n'est pas explicable sans l'existence d'un mandat légal régissant les rapports à na.ître entre l'absent et ceux qui ont géré pour lui la succession; mandat légal indispensable pour que le droit de propriété revenant à l'absent ne reste pas en suspens pendant toute la durée de l'absence, ce que l'arrêt solennel de notre Cour de cassation, prérappelé, du 9 juillet 1876, a déjà reconnu être une impossibilité juridique. Le nouvel arrêt, publié ici, n'y contredit en rien, mais reconnaît dans ses nwtifs que le législateur a dù faire prévaloir sur les droits d'un individu, aussi longtemps qu'il ne se représente pas, l'intérêt et le commerce juridique et que la foi publique postule pareille solution.

    La science juridique est très complexe, tout comme la sociologie dont elle n'est qu'1.me dépendance. Elle n'est pas une science abstraite; elle est sociale et essentiellement pratique, car les lois positives, qu'elle a pour objet d'étudier, n'ont été faites que pour être appliquées selon l'esprit que le législateur a eu en vue en les édictant, celui de faire régner la justice dans les rapports sociaux;, justice non pas abstraite et absolue, mais souple, dans laquelle la rigueur des principes se trouve arrondie et assouplie par l'équité.

    Tel est le souci qui a inspiré l'empereur Adrien quand il a établi son senatus-consulte réglant les rapports entre l'héritier réel et l'héritier apparent sur la base d'un mandat imposé d'office, mandat légal tout à fait similaire au quasi-contrat de gestion d'affaires que les articles 1372 à 1375 du Code civil ont repris du droit romain.

    La plus funeste erreur que les commentateurs du Code civil aient commise, au x1xe siècle, c'est d'avoir attaché 1.me importance trop

    ( 1) Pas:, 184 7, I, 294, et 1878, I, 304:.

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    exclusive au:x: textes des deux mille deux cent quatre-vingt-lin ::u·ticles composant le Code Napoléon, connue s'ils exposaient seuls tout le droit civil, et de les avoir intel·prétés restrictivement.

    Certes la loi du 30 ventôse an XII, article 7, est venue ab:coger formelle-ment les lois romaines et les anciennes coutumes dans les matières orga-nisées par le Code civil, mais cette abrogation a eu pour seul but d'unifier la législation, car les auteurs du Code ont entendu maintenir

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    restituer que le prix de la vente ; les articles 2005, 2008 et 2009 valident, au profit des contractants de bonne foi, les conventions conclues avec de13 mandataires dont le mandat n'existe plus. Dans tous ces articles, c'est la loi qui suspend l'application de la règle : nemo plus juris ... pour protéger les tiers qui, sans cela, seraient victimes d'une erreur invincible.

    Sont-ce là des exceptions qui sont de stricte interprétation, comme. les commentateurs du Code civil l'ont enseigné? Non, ce sont des applications d'un principe général, en vigueur dans l'ancien droit : Error communis facit J"us, qui a été maintenu par notre Code et doit être appliqué par analogie.

    Le Conseil d'Etat, do:Q.t les avis avaient, à cette époque, force d'inter-pt•étation légale, en a décidé ainsi, dans son avis du 2 juillet 1807, en ces termes très catégoriques : «De tout temps et dans toutes les législations, l'erreu1· commune et la bonne foi ont suffi pour couvrir dans tous les actes et même dans les jugements des irrégularités que les parties n'avaient pu prévoi'r, ni empêche1· >> •

    Aussi, on ne conteste plus la légalité de cette maxime. On s'est borné à prétendre, vainement d'ailleurs, qu'elle ne régit que le droit administratif parce que la décision porte sur un cas d'authenticité d'actes de l'état civil reçus par les secrétaires de mairie dans la fausse croyance qu'ils avaient des attributions identiques à celles des secrétaires de municipalité de l'ancîen régime. Pareille interprétation restrictive se. trouve réfutée par les termes même de l'avis, qui énonce un principe général, ne comportant pas de distinction entre droit administratif et droit civil, et visant , expressément « tous les actes et même les jugements >>.

    Cette maxime fait partie de la ne forment pas seulement > comme le dit l'article 1134 du Code civil, elle tient lieu de E HARVEN, Rev. de droit belge, 1938, p. 91, n° 11.

  • 30 REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE,

    En France, en application du même Code civil que le nôtre, la Cour de cassation a reconnu la validité, pour les tiers de bonne foi, des actes et conventions accomplis par les héritiers simplement apparents, par une série imposante d'arrêts tous conformes dans leurs conclusions.

    Si les premiers arrêts, basés sur l'idée de la crée entre ces héritiers sables aux ti:ér'J .. s.s.ns transcription hypothécaire, se trouvera entièrement conso-lidée par l'i.J.terprétation réellement juridique de la législation en vigueur, laquelle ne veut .pas que le droit de propriété, demeure en suspens sans titulaire à l'égard de la société, comme l'a proclamé notre Cour de cassation, chambres réunies, dans son arrêt solennel, précité, du 9 juillet 1876,

    J. 1VAN DE VoRsT, Professeur émérite à l'Université de Gand,

    1

    (1) Voy. arrêts du 4 août 1875, DALLOZ, 1876, 1, 123; du 3 juillet 1877 (validité de l'hypothèque), DALLOZ, 1877, 1, 429; du 13 mai 1879, DALLOZ, 18-;9, 1, 417; du 4 août 1885, DALLOZ, 1886, 1, 310 ; du 16 janvier 1897, DALLOZ, 1900, 1, 33 ; du 6 janvier 1930, D. H., 1930, 49 ; Req., du 20 mai 1935, DALLoz, 1935, 1, 97 avec rapport du conseiller Pilon et note de Capitant.

    (2) Rev. prat. not., 1903, 421.

  • REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE. 31

    Tribunal civil de Bruxelles, 9e chambre, 7 avril 1945.

    Président : M. BAILLY.

    Ministère public : M. MoRETUS-PLANTIN DE BoucHOUT.

    MARIAGE CONTRACTÉ PAR UNE IsRAÉLITE EN VUE DE SE SOU-

    STRAIRE A UNE DÉPORTATION. - SIMULATION. - NULLITÉ

    ABSOLUE.

    Le mariage contracté par une apatride mineure d'âge, légalement domiciliée en Belgique, est régi par la loi belge.

    Est n1.û, d'une nullité virtuelle, pour cause de simulation, le mariage contracté avec le pensionnaire d'un hospice par une IsraéHte à seule fin d'éviter la déportation et dans des circonstances marquant la volonté des parties de ne conclure qu'un simulacre de mariage.

    Autant que l'identité de sexe sur le plan physique, - autant que le défaut de célébration, les formes n'ayant en l'espèce été utilisées pour ainsi dire qu'à. vide, - plus même que l'absence totale de consentement, car accord a eu lieu précisément pour exclv..re le mariage, la simulation, qu'il ne faut pas confondre avec le cas du mariage dit de raison, contredit l'existence et la notionmême du mariage.

    Il n'y a point à objecter :ni l'importance toute spéciale du mariage en raison du fait qu'il est le portail d'une vé1~itable institution, cette importance commandant au contraire de refuser toute valeur juridique à ce qui n'est que la caricature du mariage, - ni le concours prêté par l'autorité publique à la conclusion du contrat, l'intervention de l'officier de l'état civil, bien qu'essentielle, étant de 1Jure forme, alors que la simulation est un moyen de fond.

    , . En conséquence, en matière de mariage, la simulation, qui se caractérise essentiellement par l'utilisation des formes du mariage en guise de simple expédient ponT la réalisation d'une fin tout à fait étrangère au mariage, est, en soi, contraire à l'ordre public; la n·ullité qu'elle entraîne est dès lors absolue· et susceptible par conséquent d'être invoquée par tout intéressé .

    . Comme pour tout autre moyen de nullité, la preuve de la simula-tion peut être rapportée paT toutes voies de droit.

  • 32 REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE.

    JUGEMENT.

    Vu, produit en forme régulière, l'exploit d'assignation du ministère de l'huissier X ... , de Bruxelles, en date du 15 novem-bre 1944;

    Attendu que l'action tend à faire prononcer la nullité du prétendu. mariage contracté entre la demanderesse et le défendeur devant J'officier de l'état civil de la ville de Bruxelles, le 3 août 1942;

    Attendu que la demanderesse invoque un double moyen de nullité, savoir, la simulation et le vice du consentement (violence morale);

    Attendu que le défendeur déclare se référer en justice ; Attendu qu'au moment où elle a contracté mariage la deman-

    deresse était apatride; que, mineure d'âge, eUe était légalement domiciliée chez son père, ... , à Bruxelles; que, dans ces conditions, c'est la loi belge, qui régit les rapports juridiques, que la présente action met en jeu;

    Attendu qu'il est constant ;

    1° Que la demanderesse, juive de race, tombait en cette qualité sous le coup des ordonnances de l'autorité allemande des 11 mars et 8 mai 1942, la première disposant que les Ju!fs «seront régis par des conditions de travail d'un caractère spécial n et la seconde déterminant ces conditions d'ailleurs exception-nellement rigoureuses, mais prévoyant qu'elles ne seraient pas applicables à« l'épouse juiv;e engagée dans les liens d'un mariage mixte )) ;

    2° Qu'en application dès ordonnances, la demanderesse reçut, dans le courant du mois de juillet 1942, l'ordre de se rendre à la caserne Dossin à Malines, en vue de son départ pour la Pologne;

    3° Que le père de ,la demanderesse demanda alors au directeur de l'hospice dè l'infirmerie, 12, rue du Canal à Bruxelles, si l'un de ses pensionnaires ne consentirait pas à contracter mariage avec la demanderesse en vue d'éviter à celle-ci la déportation et que le pensionnaire G. Pierre, alors âgé de 65 ans, accepta;

    4° Que le 3 août 1942, M. le Procureur du roi près le tribunal de première instance, « vu les pièces constatant qu'il existe des causes graves pour accorder la dispense sollicitée )) (il s'agissait

  • REVU:E CRITIQUE D:E JURISPRUDENCE BELGE. 33

    en l'occurrence de l'ordre reçu par la demanderesse de se rendre, précisément le 3 août 1942, à la caserne Dossin), accorda aux futurs époux

  • 34 REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE.

    de sexe et que ]_'une est au moral ce que l'autre est au physique, l'une et l'autre allant directement à l'encontre de l'essence et de la notion même du mariage; qu'en tout cas, la simulation va plus loin que l'absence totale de consentement, puisque s'il y a consentement des parties, c'est uniquement pour exclure entre elles de façon absolue cet état de mariage que le contrat a précisé-ment pour objet de créer; qu'il y a bien, en cas de simulation, célébration du mariage, mais qu'il n'y a que cela, les formes étant utilisées pour ainsi dire, pareille volonté est, par définition même, formellement exclue; que le critère de la simu-lation réside non dans la raison, qui pousse les futurs époux à contracter mariage, mais dans l'attitude de leur volonté commune par rapport à l'objet du contrat; qu'ainsi un mariage contracté par une femme juive en vue d'échapper à une mesure de déportation, mais avec la volonté chez les futurs époux de se traiter réciproquement comme de véritables époux, serait tout aussi inattaquable du chef de simulation qu'un mariage r ou, pour 1nieux dire, ne serait qu'un mariage« de raison» ; que l'application du susdit critère impliquera donc la recherche de la volonté réelle des cocontractants et que c'est là, et là seulement, sur .le terrain de la preuve, que gît la difficulté (DE PAGE, loc. cit., et spécialement note 1 au bas de la p. 717);

    Attendu que l'importance toute spéciale qui s'attache au contrat de mariage du fait qu'il est le portail d'ùne véritable institution, loin de faire obstacle ·à l'annulation du mariage pour cause de simulation, recomma~de au contraire et même commande, pourrait-on dire, cette solution; qu'en effet, ce n'est pas méconnaître l'importance de ce contrat, mais bien plutôt la reconnaître pleinement que de refuser toute valeur juridique à ce qui n'en est que la caricature; .

    Attendu qu'il en est de même en ce qui concerne le concours prêté par l'autorité publique à la conclusion du contrat; qu'il faut, en effet, distinguer le fond du contrat de tout l'appareil de formes, substantielles ou non, dont, à raison de son importance

  • R:EVU:m CRITIQU;E DE JURISPRUD:ENù.E B:ELGE. 35

    . même, le législateur a cru devoir l'entourer et dont la principale, est, à coup sûr, la « célébration » du mariage par l'officier de l'état civil; que cette intervention' de l'officier de l'état civil, bien qu'essentielle, demeure néanmoins· de pure forme (DE PAGE, loc. cit., et spécialement Ja note 3 au bas de la p. 717, ainsi que le n° 631 auquel cette note renvoie) et qu'on ne voit pas dès lors en quoi elle pourrait créer un obstacle quelconque à l'admissi-bilité, comme moyen de nullité, de la simulation, moyen de fond ; ·

    Attendu qu'il résulte c:!es considérations ci-dessus exposées qu'en matière de mariage, la simulation, qui se caractérise essentiellement par l'utilisation des formes du mariage en guise de simple expédient pour la réalisation d'une fin tout à fait étrangère au mariage, est, en soi, contraire à rordre public; que la nullité qu'elle entraîne est dès lors absolue et susceptible par conséquent d'être invoquée par tout intéressé (comp. DE PAGE; loc. cit.);

    Attendu que la preuve de la simulation peut être rappm-tée par toutes voies de droit; qu'il n'y a pas de raison de l'exiger ni plus ni moins rigoureuse pour la simulation que pour tout autre moyen de nullité, la rigueur se justifiant, en l'occurrence, non par la nature du moyen de nullité invoqué, mais par l'impor-tance exceptionnelle du contrat dont l'annulation est poursuivie.; que ce qui est. vrai, c'est que la preuve de la simulation sera généralement difficile à faire, d'autant plus difficile à faire que la simulation aura été plus parfaite;

    Attendu qu'en l'espèce, la preuve de la simulation a été (

    rapportée à suffisance de droit; qu'elle repose sur un ensemble de présomptions graves, précises et concordantes, dont les éléments ont été indiqués plus haut ;

    Attendu, en conséquence, que l'action en tant que basée sur la simulation apparaît comme fondée; que l'examen du fonde-ment de l'action en tant que basée sur le vice du consentement (violence morale) advient dès lors sans intérêt ;

    Vu l'article 4 de la loi du 15 juin 1935; Par ces motifs, le tribunal..., dit l'action recevable et fondée; En conséquence prononce ]a nullité du mariage contracté

    entre parties devant l'officier de l'état civil de la Ville de Bruxelles Je 3 août 1942 ; ordonne que le présent jugement sera transcrit ... ; condamne le défendeur aux dépens.

    KATH. UNIVERSITEIT LEUVEN Nederlandse afdeling

    FAC. RECHTSC.tLECi~DHi:lD BIBUOli-;;::;,:l(

  • 36 REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE.,

    Note.

    En droit c:i.vil, la simulation porte-t-elle grief à la validité du mariage? Bien que la question soit d'ordinaire résolue par la négative, le tribunal de Bruxelles, confirmant sa jurisprudence (1), prend nettement part.i pour l'affirmative : selon le jugement, le mariage simulé est nul, d'unt' nullité fondée sur l'ordr~ public· et par conséql.tent absolue, susceptible d'être invoquée par tout intéressé. Quant à la preuve· de la simulatidn, elle peut être administrée par toutes voies de droit. Sous réserve de certaines précisions ou corrections, la thèse du tribunal de Bruxelles, très ex~ctement motivée en droit, mérite approbation. La question offre d'ai!Jeurs un intérêt dépassant de loin l'hypothèse, assez mince et en · somme .care, de la simulation de mariage, c~r elle évoque toute la théorie du mariage, ainsi que mairites notions capitales de notre droit civil.

    La présente note sera divisée en deux parties : la premièr~, consacrée à l'étude de la notion de mariage ~imulé (§ Ier); la seconde, à la recherche des conséquences qui, sur le plan de la validité du mariage, sont suscep-tibles de découler de la simulation (§§ II et III).

    § Jer.

    1. Un mariage est simulé quand les parties ont eu recours aux formes légales du mariage uniquement en vue de construire une apparence d'acte de mariage sans· en vouloir la réalité. Dans leur for interne, et d'ailleurs en pleine connaissance de leur pensée réciproque, les parties n'ont pas entendu se marier : elle~ n'ont réalisé que les rites ou la cérémonie du mariage. C'est, appliqué au cas du mariage, le concept général de la simulation d'acte.

    a) Si, contrairement à 1.me étymologie fantaisiste qui fait dériver le mot

  • REVUE" ORITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE. 37

    famille, tel le mariage (1). En matière de mariage, la simulation n'est d'ailleurs concevable qu'absolue; en ce sens que l'aqte y est toujourf'! complètement fictif, tandis que, dans les actes patrimoniaux, la simulatio"n peut n'être que relative ou partielle, soit par déguisement de l'acte réel (par. exemple, donation déguisée sous un acte à titre onéreux), soit par dissimulation d'tm de ses éléments (le montant du prix dans la vente, la cause dans un billet, l'incapacité d'une partie, la date ou encore le·lieu de passation de l'acte ... ), soit par interposition de personne (contractant

    ·apparent voilant le contractant réel).

    b) . Une autre précision importante concerne la matière propre de la simulation : ce qui est simulé, c'est l'acte de mariage, donnant _lieu, si l'on veut, à un« mariage apparent», mais dans un sens qui n'est pas celui de la théorie du mariage apparent. Dans cette dernière théorie et, d'une manière générale, dans la théorie de l'apparence (2)~ l'apparence est prise par rapport à une situa.tion o~ à une qualiÙ (propriété apparente, héritier apparent, n:mndataire appar~nt, apparen~e de mariage-résultant de la vie cormnune, apparence de non-mariage résultant d'une séparation de fait ... ), et non par rapport à tm acte (mariage simulé, société simulée, vente simulée ... ). De plus, on ne retient, dans la théorie de l'apparence, qU:e le résultat objectif de l'apparence créée, sans considération de la cause ou du mobile éventuel de cette création. C'est ·ainsi que le phénomène du mariage apparent existe, en dehors de toute idée de simulation, du moment où un h01nme t une fennne, mariés ou non, se conduisent en fait corrime gens mariés et f sent pour tels~ Il est possible d'ailleurs qu'une simulation de mariage, ( 1.portant inscription sur les registres de l'état civil, ait cet effet, préméè11 u0 ou non, de créer une apparence d~ situation matriinoniale. Néanm.oins ce n'est pas cet effet qui entre en ligne dans le mariage simulé, et celui-ci existe par la seule simulation de l'acte, quelle que soit l'attitude ultérieure des parties, qu'elles se donnent ou non, par leur comportement, l'apparence de gens mariés (3).

    2. Si l'on analyse la simulation de mariage, on constate que, du côté des parties qui apparemment ont conclu l'opération,· tout est ·décor, façade, faux-semblant :leurs démarches auprès de l'officier de l'état civil, avant le mariage aux fins de publication, le jour· du mariage aux fins de célébration; l'expression de leur consentement selon le rituel légal; leur collaboration, par la présence et la signature, à la rédaction de l'acte de l'état civil. Corsant l'histoire, rien n'empêcherait d'imaginer, en outre, que les parties eussent passé . contrat de mariage par devant notaire, procédé à la célébration religieuse de l'Ùnion et même, ultérieurement~ pris l'apparence d'un ménage

  • 38 R:EVU;E CRITIQUE D;E JURISPRUD:ENC;E BELGE.

    l'état civil, s'abstenant même délibérément de toute célébration religieuse. C'était suffisant pour composer l'hypothèse du mariage simulé. Extérieure-ment dème, le mariage est contracté de la manière la plus régulière, la plus correcte ; en réalité, selon l'expression du jugement, ··les formes sont « utilisées à vide )) : la célébration n'a ·le sens que d'un simulacre. Les parties n'ayant nullement entendu contracter mariage, n'y ayant songé que pour en rejeter l'idée, le mariage ainsi contracté pour la forme n'a, dans le fond, pas été voulu et, à oe point de vue, c'est le néant de la volonté.

    Cependant la simulation de contrat, spécialement de mariage, se diffé-rencie du simple défaut de consentement ou, si l'on préfère, elle y ajoute un élément typique essentiel. Le défaut de consentement en effet est un pur manque, traduisant une sorte de malfaçon ou d'échec : l'acte ne parvient pas à naître ; il avorte, soit en raison d'une incapacité physique de consentir (démence, ivresse ... ), soit en raison d'une ignorance de la nature ou de la signification de l'acte à accomplir, soit par l'effet d'une erreur ou d'une violence destructive du fonsentement. La plupart du temps d'ailleurs, le pur défaut de conseutement est unilatéral : l'une des parties a consenti et l'autre pas (cas de la démence, de l'ignorance, de la violence destructive ... ), ou bien, par suite d'un malentendu, les volontés ne se sont pas rencontrées (cas de l'erreur destructive). On aura. le droit de dire sans doute~ avec le. procureur général Mesdach de Ter Kiele (1), à propos de l'engagement d'un interdit

  • REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE. 39

    sur le plan de l'analyse psychologique et en dehors de tout jugement de valeur, caractérise la simulation d'acte : le consentement n'est pas seulement inexistant, sans plus; il est simulé, c'est-à-dire .double. A cet égard, l'expression «mariage feint » ou « simulé » paraît plus adéquate que celle de « mariage fictif»-: tandis qu'un !( mariage fictif n pourrait désigner simplement un mariage dépourvu d'existence juridique, tel le

    _ mariage d'un dément, le «mariage feint ll implique mise en scène, simulacre.

    3. Il convient, pour l'exacte compréhension de l'hypothèse, de la distinguer de certaines autres, plus ou moins voisines.

    a) Soit le cas du mariage accompagné de condition O'U de réserve. Par exemple, il a été entendu entre les époux que la femme ne donnait son consentement que pour autant que le màri accepterait de procéder à la célébration du mariage religieux. Ainsi la femme ne veut le mariage civil, seul mariage selon la loi civile, que sous la condition suspensive de la bénédiction nuptiale (1). Ou encore le mariage est contracté par la fermne avec l'intentiôn formelle, connue du cocontractant, de se dérober au devoir conjugal, alors que celui-ci est de l'essence du mariage tel que la loi le conçoit (2). -Mais, en fait, il n'y a rien de commun entre un mariage accompagné de réserves bilatérales de cette sorte, et un mariage simulé : le consentement conditionnel peut bien être incomplet ou relatif, éventuellement insuffisant; il n'en est pas moins réel, tel qu'il se comporte. Ajoutons tout de suite, bien que la question ne soit guère soulevée en doctrine et en jurisprudence, que le droit civil, contrairement au droit canonique (3), ignore le mariage dit conditionnel et n'attache à la condition aucun effet juridique (4). En principe, le consentement conditionnel, même au cas de condition déduite en pacte, est traité comme pur et simple (5). Il serait logique pourtant, dans la doctrine de la volonté, de voir si la condition apposée a en fait laissé subsister un consentement matrimonial suffisant (6).

    b) On peut songer aussi aux cas où la réalisation de la fin normale du mariage, à savoir la procréation, est impossible, du moins en se plaçant au jour de la célébration (mariage in extremis, vieillesse, impuissance ... ). Mais cette impossibilité n'empêche nullement que les parties aient entendu s'unir en un vrai mariage, sans aucune simulation, quand même l'une d'elles aurait dissimulé à l'autre son état. D'ailleurs, en droit civil, non seulement l'aptitude à procréer, mais l'aptitude aux rapports. sexuels

    (1) Voy. Montpellier, 4 juin 1847, D. P., 1847, 2, 81. (2) Voy. trib. civ. de la Seine, 17 mai 1861, sous Req., 9 février 1863, DALLOZ,

    1863, 1, 426. (3) Canon 1092 : voy. L. CANGARDET.., Le consentement des époux au ntariage

    en droit civil fra'nçais et en droit canoniqt!-e moderne, thèse, •.roulouse, 1934, p. 155 et suiv., 202 et suiv.

    (4) Voy., en ce sens, trib. civ. de la Seine, 17 mai 1861 cité : a Attendu que le lien de droit se forme entre les contractants par la libre manifestation de la volonté, quelles que puissent être d'ailleurs leurs réticences relativement à l'exécu-tion des obligations qu'ils acceptent»; CANGARDEL, op. cit., p. 204, texte et note 12.

    (5) Voy. AUBRY et RAU, {)e édition par BARTIN, t. VII, § 451bis, p. 15. (6) Voy., en ce sens, CANGARDEL,' op. cit., p. 38, ·in fine.

  • 40 REVUE ORITIQU:E DE JURISPRUDENCE :BELGE.

    (coït) ne figure pas au nombre des conditions requises pour pouvoir se marier (1}, tandis qu'en droit canonique, on le sait, l'impuissance e.st une cause de nullité de mariage (canon 1068).

    c) Mais surtout il est urgent de distinguer la simulation de mariage des cas multiples et variés (repris par le jugement annoté sous le vocable, trop étroit, de «mariage de raison»), où les parties ou l'une d'elles n'ont consenti au mariage que sous l'empire de considérations étrangères à la notion idéale ou simplement naturelle du mariage : préoccupations égoïstes, mel·cantiles ou mondaines, crainte. de scandale ... , ou pour parvenir à tJ.n certain résultat utile, ainsi le bénéfice d'un avantage attaché par la loi (ou par un acte juridique privé) à la qualité d'époux. Encore est-il que, par hypothèse, et précisément en vue de la fin qu'on se propose, le mariage a été réellement voulu, au for externe et au for interne, dans l'intention des parties. Peu .im.porte, en effet, selon le droit commun, qu'un acte juridique ait été -voulu à titre de fin ou de moyen (pourvu que cette subordination, cette mécanisation de l'acte ne lui communique pas un caractère illicite ou immoral, ce qui n'est pas le cas en l'espèce), du moment qu'il a été voulu en lui-même, sinon pou1· lui-même; le mobile ou l'arrière-pensée qui l'a inspiré étant, à cet égard, sans pertinence (2).

    4. Il est vrai que la fin pourrait être atteinte, parfois, à moindres frais, sinon plus sûrement, par la voie d'un mariage simplement simulé (3). Défalcation faite du cas, tout théorique, de la plaisanterie ( 4), teile est en effet la

  • REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE. 41

    à l'incapacité, frappant le n1.édecii1, de recevoir des libéralités de sa malade (1); pour permettre à l'enfant attendu d'une femme séduite, délaissée par son amant, de jouir de l'état civil d'enfant légitime (2) ; pour permettre à un célibataire de profiter d'une exen:q::rt:fçn de service militaire (3); pour permettre à une femme, résidant m1 p~ ennemi, d'acquérir la nationalité de son ,mari, sujet netttre, et, par là," d'échapper à la captivité dans tm ca~np de concentration ( 4) ; pour permettre à une. personne célibataire de se soustraire à une mesure odieuse décrétée par l'ennemi contre les persom1.es non mariées : ainsi, dans notre espèce, pour permettre à une jetme fille juive de se prévaloir de la disp~sition dé l'ordonnance allemande sur le travail obligatoire, prévoyant dérogation au profit de «l'épouse juive engagée dans lef3liens d'Un. mariage mixte» et, par ce moyen, d'échapper à la déportation. Déjà, à Rome, des mariages avaient été simulés en vue d'éviter l'incapacité de recevoir par succession décrétée contre les célibataires par les lois caducaires Julia et Papia Poppaea (5). La jurisprudence canonique fournirait d'autres exemples : ainsi la simula-tion pour obtenir une remise de peine, comme dans le cas de cette loi portugaise accordant à l'auteur d'un viol remise de sa peine s'il époùse la jeune fille (6); ou pour é\riter l'emprisonnement, comme dans le cas de cette loi de l;Etat d'Ohio donnant au juge le pouvoir de mettre le père naturel de l'enfant à naître devant l'alternative du mariage ou de la prison, en cas de non-payement de la pension (7). On pourrait citer encore l'hypothèse prévue par la loi allèmande du 23 novembre 1933 complétant le § 1325 du B. G. B., instituant nullité des mariages contractés unique-ment sur base d'un trafic de titres de noblesse (8). Bref, les exemples foisonnent d'utilisations possibles de la simulation de mariage aux fins de procurer soit aux prétendus époux, soit même aux enfants nés ou à naître d\me union qu'ils n'ont pas voulue matrimoniale, tels effetc;:; avantageux, positivement ou négativement, de droit privé- patrimonial o~ extra'-patrimonia,l, - de droit public, de droit pénal, de droit fiscal, de législation sociale ... , partout oil de pareils effets sont attachés à la, condition du mariage.

    b) Mais si le mariage simulé peut servir à ces fins extririsèques, le mariage réelle peut tout autant et même 1nieux, et sa valeur ne sera pas mise en doute puisque, nonobstant le mobile utilitaire qui a pu l'inspirer, .

    (1) Comp. Paris; 24 février 1817, SIREY, 1817, 2, 314, DALLOZ, Réperto-ire, v 0 Disposition entre vifs, n° 379; - Civ., 11 janvier 1820, SIREY, 18.20, 1, 157; civ., 11 août 1822, SIREY, 1823, 1, 100, DALLoz, Répe1'toire, v 0 Disposition entre vifs, n° 308.

    (2) Trib. Bayonne, 9 avril 1936, SmEY, 1936, 2, 124 et note H. RoussEAU. (3) Comp. Lyon, 10 avril 1856, DALLOZ, 1857, 2, 54, SmEY, 1856, 2, 706. (4) Comp. Grenoble, 11 juillet 1923, Rec. Grenoble, Table quinquennale, Gcw.

    Pal., 1925-1930, v 0 Mariage, U 0 37, cité par CANGARDEL, op. cit., p. 16; -trib. Bruxell~, 26 juin 1942. Pas., 1946, III, 83.

    (5) GAIUS, au Dig., 23, 2, 30. (6) Sacrée Congrégation du Concile, 27 juillet 1907, cité par CANGARDEL, op. cil.

    p. 114 et 115. (7) Rote, 9 juin 1911, cité -par CANGARDEL, op. cit., p. 115 et 116. (8) Cité par l;>E PAGE, t. Jer, ll0 659bis, p. 715 et 716.

  • 42 R:EVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE.

    il a été réellcnnent voulu. N'en concluons d'ailleurs pas que, même dans le cas d'un mariage réel, l'avantage ainsi poursuivi sera nécessairement garanti : d'aut-res principes pourront s'interposer' qui justifieront la suppression de l'avantage sans atteinte au mariage, ainsi la f1·aude à la loi ou simplement l'esprit de la loi. C'est le système adopté par les arrêts

    . précités relatifs à l'incapacité du médecin : laissant de côté la question du caractère réel ou simulé du mariage, ils annulent la libéralité par des motifs dégagés de la ratio legis de l'incapacité, qui est la crainte de !~empire du médecin comme tel, époux ou non, sur la volonté de'la malade (1). Toujours est-il que de savoir si, pour obtenir les avantages convoités, les par.ties ont eu I'ecours à un vrai mariage ou à lill simulacre, ce point, qui pourra toujours être soul~vé s'il en est besoin, gît en fait : les parties ont-elles eu ou non l'intention de contracter un vrai mariage?

    c) En l'espèce, le trjbru1al a estimé « indubitable quo le mariage litigieux n'a été qu'un pur simulacre ». Effectivement, la volonté secrète de ne pas contra,cter mariage, venant contredire la volonté affichée, ressortait, jusqu'à l'évidence, en dehors du mobile lui-même qui pouvait être à double fin, d'mw part des circonstances (démarches à l'hospice, profes-sion et âge du «futur», séparation d'habitation, absence de mariage reli· gieux ... ); d'autre part., de la double déclaration signée du pseudo-mari (promesse de consentir au divorce, reconnaissance des droits de propriété

    '·-. de la femme sur les meubles garnissant la maison ((conjugale))). Dira-t-on que la non-célébration elu mariage religieux était sans relevance, sous prétexte que le mariage religieux n'a pas de valeur légale et que la loi civile l'ignore (sauf l'art. 16, al. 2, de là Constitution)? L'observation ne saurait porter là où il s'agissait üniquement de reconstituer l'intention des parties. Or, pour les croyants catholiques et juifs (et la jetme fille, en l'espèce, était juive pratiquante), le mariage devant le prêtre est le seul vrai mariage, et dès lors la volonté de se marier à l'église ou à la synagogue est la meilleure preuve de la volonté de se marier réellement. Tirera-t-on argument, contre l'idée de simulation, de l'engagement, pris par le futur,

  • REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE. 43

    le tribunal dans une affa.ire similaire ( 1 ), mais non retenu par lui dans celle-ci, certains commentateurs· ont cru pouvoir analyser notre espèce en un cas de violence morale, et non de simulation. La demanderesse aurait réellement consenti au mariage, mais sous lri menace d'un mal considérable et injuste, contrainte par un vél'itable état de nécessité qui aurait ainsi vicié son consentement (2). Cette interprétation, d'ailleurs tendancieuse (on voudrait aboutir à une nullité, prétendument illégale par la voie de la simulation, et à une nullité qui aurait l'avantage de n'être que relative, invooable par la seule victime), se heurte à plusieurs objections.

    D'abord, en admettant même, selon l'opinion assez généralement reçue de nos jours (3), que la contrainte résultant d'tme violence dite morale,

    ·c'est-à-dire d'un état de nécessité produit par des circon13tances extérieures, soit, en droit, constitutive de la violence vice du consentement ( 4), on ne voit pas en quoi le mariage. était, en l'espèce, le moyen nécessaire d'échapper à la déportation. Car si, pour se soustraire au mal, l'intéressée avait le choix d'un autre moyen, elle ne se trouvait plus en état. de nécessité de contracter mariage (5). A tort, dirait-on, avec le jugement du tribunal de Bruxelles en cause Kacenelenbogen cité, que

  • 44 REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE

    le

  • REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE. 45

    au cas de simulation, la condition de mariage à laquelle serait subordonné un effet de droit, légal ou conventionnel (1). De fait, un mariage simulé précisément en vue de l'effet de· droit à recueillir ne saurait êtFé considéré comme satisfaisant à la condition stipulée. : celle-ci entend évidemment un mariage réel. Notamment, quant à la dispense d'incapacité établie au profit du médecin conjoint de la donatrice (Code civ., art. 909), il est clair que là où 1.m mariage réel conclu uniquement pour éluder l'ineapacité n'aurait pas été de baille à entraîner la dispense (voy. ci"avant; § 1er, n° 4b ), un mariage simulé devrait avoir vertu moindre encoœ, la simulation apportant la preuve péremptoire de la fraude à l'incapacité. (Il est vrai que des cas de simulation ont pu être traités comme mariages réels, parce que la casuistique avait découvert le moyen de ne pas attacher ipso facto à un mariage, même réel, le jeu de la dispense: ainsi l'on évitait la question périlleuse de la valeur du mariage simulé, fût-ce au regard des tiers.) Bien plus, rien n'interdirait aux tiers d'arguer, au nom de la théorie générale de la fraude, d'une simulation de mariage montée expres-sément pour nuire à leurs droits : indépendamment de toute discussion sur la valeur du mariage entre parties ou même à leur égard, l'effet de pareille machination devrait subir échec dans la mesure et sur le point précis où elle leur porterait dommage ; il ne s ~agirait alors que d\me simple inopposabilité, relative et partielle (2).

    Le problème ici débattu est donc loin d'englober toutes les conséquences juridiques possibles de la simulation de mariage; mais, d'autre part, il va bien au delà de la question de l'opposabilité aux tiers d'un mariage sinmlé. Son objet,. à la fois plus particulier et plus radical, est de déter-miner si la simulation est, pour le mariage, cause de nullité, d'an~ ntisse-ment, dans son principe et dans la totalité dé ses effets, au regard des parties comme au regard des tiers; en outre, par quelles personnes, parties ou tiers, et sous quelles modal·ités de p1·euve cette nullité pourra évent.uellem.ent être réclamée.

    2. A la question ainsi posée, les auteurs (pom· autant qu'ils y prêtent attention, et ils sont rares) répondent, en général, que la simulation comme telle, même prouvée, laisse le mariage inattaquable (3). ·

    De son côté, la jurisprudence, peu abondante on le conçoit, se prononce, elle aussi, quand elle se trouve diœctement en face de la simulation, sans possibilité de diversion, en faveur du mariage simulé comme vrai mariage ( 4).

    (1) Voy. Aix, 4 mars 1813, cité, DALLOZ, Répertoi?·e, v 0 Mariage, no 443. (2) Comp. PLANIOL et RIPERT, op. cit., t. VI; n° 334, 'Ïn fine, p. 461; DE PAGE,

    t. Ier, n° 659bis, p. 716, qui font intervenir, en ce cas, l'action en déclaration de simulation par laquelle le mariage tombera entièrement.

    (3) Voy. DEMOGUE, Obligations, I, t. Jer, n° 164; PLANIOL et RIPERT, op. cit., t. VI, n° 334; CANGARDEL, op. cit., p. 196 et 197; BOCQUET, note au J. T., 1946, p. 402; MAYNÉ, "note à la Re'IYUe pratique, 1946, p. 404 et tous les auteurs discutés ci-après. - Cont·ra: GLAssoN, Du consentement des époux att rna1·iage, Paris, 1866, no 144, p. 248 et 249.

    (4) Voy., en ce sens, 'Lyon, 18 août 1807, sous.Req., 30 août 1808, dans MHRLIN, Répertoire de jurisprudence, v 0 Simulation, § II, p. 269 ; trip. Bayonne, 9 avril 1936, cité, SIREY, 1936, 1, 124 et note H. RoussEAU.

  • 46 R:EVUE CRITIQUE D;E JURISPRUDENCE BELGE.

    S'inspirant de M. De Page (1), dont la position est d'ailleurs beaucoup moins absolue qu'il ne semble au premier abord (voy. ci-après, § III, n° la), le jugement rumoté, premier de l'espèce publié en Belgique, rompt nettement avec ce qu'on peut appeler la! doctrine établie.

    Que faut-il penser de ce > ? Surtout quelle est la valeur des arguments invoqués à l'appui de ruhe et de l'autre thèse?

    3. Selon le droit commun des actes juridiques, dans le système français, seul compte, on le sait, le consentement réel, donc sincère~ Dès lor~:, 1 'acte simulé, juridiquement, ne représente rien, en dehors de la simulation elle-même. En droit français, l'acte producteur d'effets juridiques existe, non pas, comme en droit allemand~ pa1· la volonté qui y est

  • R;EVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE BELGE·. 47

    geable des tiers doués d\mo dose suffisante dlexpérience et de pru~ denee (1 ).

    Tels sont les principes. Mais on sait aussi quo l'ar·bicle 1321 y apport-e exception en disposant que c< les contre-lettres ne peuvent avoir leur effet qu'entre les parties contractantes :. elles n'ont point d'effet à l'égard des tiers JJ, Précisément en vue de couper court à tout préjudice ou à toute discussion sur le préjudice, la loi permet aux tiers de tenir pour non avenu, en ce qui les concerne, l'acte qui a été réellement passé et pour réel l'acte simulé, à moins cependant qu'ils ne préfèrent revenir à la réalité en faisant déclarer la simulation, car la règlé, introduite dans leur seul intérêt, en dehors de toute considération d'ordre public, leur laisse manifestement le choix (2). Il y aura donc, si les tiers invoquent l'article 1321, situation double : l'acte simulé, néant entre parties, sera réel, et seul réel, à l'égard des tiers; La simulation se retournant contre ses auteurs, ceux-ci se trouvent obligés, sinon d'exécuter l'acte en tous points, du moins de lui laisser produire. ses effets, translatifs ou autres, dans la mesure de ce que peut réclamer l'intérêt des tiers (3). Matérielle-ment, quoique dans des circonstances et sous des conditions différentes, la situation double joue ici dans le même sens qu'en matière de publicité, où le défaut de publicité, empêchant l'acte d'apparaître aux; yeux des tiers, leur profite, comme, on l'espèce, leur profite l'acte simulé, créateur d'une simple apparence : de toute façon, les tiers se prévaudront de l'apparence, là pour écarter un acte qui a effectivement été passé (l'opéra-tion non publiée), ici pour maintenir un acte gui, effectivement, n'a pas été passé (l'acte simulé);

    4. L'article 1321 serait-ild'applicat:ion dans le cas du mariage simulé? (4} - On aurait alors tm mariage inexistant entre parties, existant à l'égard des tiers, en ce sens que ceu:x;-ci pourraient. revendiquer le profit des effets _du mariage qui les intéressent, tels : la domiciliation de la femme chez son pseudo-mari; les dispositions, favorables aux tiers, du régime matrimonial de droit commtm, y compris le mandat tacit.e de la femme mariée (ici, la simulation rejoint le théorie de l'apparence); éventuelle-ment, l'acquisition par la femme dé la nationalité du prétendu époux ; ou encore, les effets de droit attachés, par des actes privés, à la condition du mariage, car si, comme il a été dit (voy. ci-avant,§ li, no 1), la condition pourrait être considérée par le stipulant comme non remplie, les tiers intéressés à l'accomplissement de la condition pourraient, eux, la tenir pour remplie.

    a) Mais il est certain que l'article 1321 ne s'applique pas en matière de mariage, et la question n'est soulevée que par acquit de conscience.

    (1) Comp. DE PAGE, t. II, nQs 622 à 624. - Sul' simulation et fraude, voy. RoussEAU, op. cit., nos 48 et suiv.

    (2) Voy., en ce sens, Cass. fr., civ., 25 février 1946, DALLoz, 1946, J., 254, SIRBY, 1946, 1, 87. - Comp. Cass. belge, 16 novemb1•e 1939, Pas., 1939, 1, 474.

    (3) Voy. PLANIOL et RIPERT, t. VI, n°8 337 et suiv.; DE PAGE, t. II, n°5 631, 634 et 635, 639 et suiv.

    (4) Comp. BOCQUET, note au J. T., 194:(3, p. 403, col. 1.

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    Pour justifier cette non-application, il ne suffirait certes pas de dire qu'en l'espèce, on ne. trouve point de contre-lettre, au sens d'un écrit venant ·.contredire ou modifier l'acte ostensible. Car la contre-lettre de l'article 1321 doit s'entendre non seulement d'un écrit, mais d'une opération, d'un .consentement mar